(Eccezionalmente mi sono permessa di scrivere una poesia in francese sul Bordeaux.)
Un Bordeaux mais quel Bordeaux!
On le reconnaît à son étiquette sobre où un lion majestueux
nous fixe d’un regard altier. Ses pattes reposent sur les créneaux
d’une petite tour moyenâgeuse.
Vieille bouteille abandonnée au fond d’un cellier uligineux
déposée pour les fêtes sur un petit plat d’argent ciselé,
elle trône au centre d’une table dressée pour quatre invités.
Ce grand vin arbore sa vieillesse d’un air enjoué,
et orne de toute sa prestance ce moment familial et joyeux.
Son bouchon de liège avait emprisonné ses envoutants parfums
jusqu’à l’aube de ce matin.
Doucement, je l’ai expulsé avec un tire-bouchon à lames d’acier,
et, au dernier tour de poignée, le bouchon s’est dégagé.
Délicatement, le pur jus divin s’est écoulé jusqu’au fond du décanteur instantané.
J’ai imagé, en un instant, les émotions que chacun éprouvera lors du dîner,
au grand dam des fervents du vin naturel ou déalcoolisé.
Bordeaux, mon Amour,
Ta robe tuilée et brillante annonce l’élégance, l’intensité,
et la complexité de tes parfums à peine libérés.
Ton extraordinaire palette d’arômes de baies, comme le cassis et la mûre,
se mêle aux notes d’eucalyptus et de menthe séchée.
Le poivre noir, la muscade, le chocolat noir, le cuir se dévoilent à mesure
que le temps s’écoule. Le nez s’affole de toutes ces subtiles nuances
qui s’échappent de nos verres embaumés de ce nectar garance.
Bordeaux, mon Amour
La main d’une déesse caresse le palais empâté de pitances crémeuses.
Le pourtour de la bouche s’enveloppe d’une soie douce et moelleuse.
Tes tanins, si fins, si soyeux, laissent pantois quiconque déguste ce vin hors pair.
Arrière-arrière-petit-fils d’ Alexandre de Ségur, tu naquis sur une terre bercée
par la proche Gironde et la mer Océane. Ta terre graveleuse assure ta singulière personnalité.
Bordeaux, mon Amour
Âgé de 36 ans, tu nous offres quelques secondes d’éternité
au plein milieu d’un repas copieux.
Incroyable vision où le sacré et le profane se manifestent devant nos yeux.
Mon cœur palpite de souvenirs d’enfance éloignée.
Bordeaux, mon Amour
Je te préfère à Adonis, au Taj Mahal o au diamant Golden Jubilee.
Tu fais pâlir la sensuelle Salomé et le sage Confucius par ce long final ravélien*.
La danse des arômes tertiaires se prolonge dans un ostinato rythmé
et la finesse des tanins dévoile à chaque gorgée
ta sage évolution au fond de ta prison de verre
sans le moindre bruit et sans avoir connu la lumière.
Bordeaux, mon Amour
Il ne reste plus que quelques gouttes de vin au fond de mon verre.
Le repas se termine par un improbable dessert
chargé de chantilly, de meringue et de marrons glacés.
Au diable servir un Champagne demi-sec, un Sauternes ou un vin muté !
Je reste sur ma faim avec tes dernières larmes de bonheur
accrochées aux parois du cristal taillé.
(*Ravélien : relatif à la musique de Maurice Ravel)